Mélie Boltz Nasr
bell hooks - Ne suis-je pas une femme ?
En cette période où les autrices afro-américaines commencent enfin à être traduites vers le français, j'ai eu la chance de découvrir ce texte autour d'une soirée Book Club avec Louie Média. J'ai voulu la partager pour donner envie à d'autres de lire cette figure emblématique de l'afro-féminisme.
Qui est-ce ?
En résumé : poétesse, intellectuelle et activiste, bell hooks a crée son nom de plume en reprennant le nom de son arrière grand-mère maternelle (sans les majuscules). Elle analyse les effets de naître femme, noire (et pauvre) aux Etats-Unis.
Née au Kentucky en 1952, dans une société ségrégée, elle fait ses études à Stanford (entre autres), une thèse sur l'oeuvre de Toni Morrisson et puis exerce comme professeure d'université. Elle a plus de trente livres à son actif, et sa pensée a ouvert la voie aux approches intersectionnelles du féminisme et du racisme aux Etats-Unis.
De quoi parle ce livre ?
Ce livre est le fruit de plus de six années de recherche. Il raconte l'histoire spécifique (et souvent méconnue) des femmes noires aux Etats-Unis pour expliquer les conséquences sociales qui en découlent. C'est-à-dire, en quoi la situation des femmes noires américaines contemporaines est le fruit d'une histoire particulière.

Le titre Ne suis-je pas une femme reprend la puissante allocution de Sojourner Truth, qui pointait déjà en 1851 le fait qu'aux Etats-Unis, le mot "femme" excluait implicitement les femmes noires.
Le discours de Sojourner Truth, une ancienne esclave, met en lumière la contradiction que vivaient les femmes noires, containtes de travailler aussi dure que les hommes noirs - donc pas considérées comme des êtres physiquement plus fragiles, par exemple - tout en subissant une forme de misogynie bien particulière.
Voici une partie de son discours :
J’ai labouré, planté, et rempli des granges, et aucun homme ne pouvait me devancer ! Et ne suis-je pas une femme ? Je pouvais travailler autant qu’un homme, et manger autant qu’un homme —quand j’avais assez à manger— ainsi que supporter tout autant le fouet ! Et ne suis-je pas une femme ? J’ai mis au monde treize enfants, et vu la plupart d’entre eux être vendus comme esclaves, et quand j’ai pleuré avec ma douleur de mère, personne à part Jésus ne m’écoutait ! Et ne suis-je pas une femme ?
Si bell hooks choisit ce titre, c'est d'une part pour rendre femmage à Sojourner Truth, mais aussi parce qu'elle va construire sur cette idée. Elle montre que le mouvement féministe était particulièrement blanc, et n'avait pas pris le temps de déconstruire cet état de fait, tandis qu'en même temps, le mouvement des droits civiques était très masculin, excluant ou éclipsant les femmes noires qui y participaient. De fait, les femmes noires étaient à l'intersection de deux formes d'oppression.
Pour déconstruire et comprendre cette double marginalisation, bell hooks analyse la situation des femmes noires aux Etats-Unis depuis l'esclavage et jusqu'en 1981.
Enfin une traduction française
La traduction est récente. Proposée par les éditions Cambourakis elle permet l'accès à l'un des textes majeurs de l'afroféminisme et une pensée indispensable pour un féminisme cohérant. La préface d'Amandine Gay souligne d'ailleurs le fait que cette pensée soit essentiellement accessible en anglais, excluant de fait les personnes moins au contacte de cette langue.
La traduction d'Olga Potot utilise aussi l'écriture inclusive, ce qui peut être une surprise pour celleux qui n'ont pas l'habitude. À titre personnelle j'ai mis quelques pages à m'habituer - je craignais que ce soit "lourd" ou difficile - puis j'ai été emballée. Je me suis aperçue que l'écriture inclusive rajoutait une subtilité et une finesse au propos, ce qui m'a donné envie de l'utiliser plus activement moi-même.